Regards sur la musique en Roumanie au XXe siècle – Musiciens, musiques, institutions, par Speranta Rădulescu (Ed. L’Harmattan, coll. Anthropologie et musiques, Paris 2021, 185 pp., www.editions-harmattan.fr)

L’auteure, ethnomusicologue, a mené des enquêtes de terrain qui ont résulté en une bonne cinquantaine de cd de musiques traditionnelles roumaines, hongroises, ukrainiennes, juives et tsiganes. Primée deux fois par l’Académie Charles Cros, elle tente de traiter de toutes les musiques roumaines (des musiques de transmission orale jusqu’aux musiques savantes) mais aussi des musiques étrangères qui ont circulé en Roumanie, pouvant ainsi influencer des musiques roumaines.

Dès la prernlère page, on apprend que la Roumanie de l’entre-deux-guerres était plus étendue qu’aujourd’hui, englobant des morceaux de l’Ukraine, de la Bulgarie et de la Moldavie. Traiter de toutes les musiques d’un pays dont le territoire évolue.à ce point devient forcément plus compliqué.

La difficulté augmente encore lorsque l’auteure divise le XXe s. de son pays en trois périodes, chacune précédée par un événement politique majeur: l’union des territoires de langue roumaine en un état national, avant les 4 premières décennies; l’avènement du régime communiste qui durera des années 50 aux années 80, et le mouvement pour l’abolir après 1989, une décennie si chaotique-qu’il est presque impossible d’y analyser la force et le sens de son évolution. Notons que la première édition de l’ouvrage est parue en Roumanie en 2002.

La doină (et la hora qui est la doină de Transylvanie du nord) est-elle un chant qu’on ne trouve qu’en Roumanie, ou est-elle présente en Afrique du Nord et dans les Balkans mais avec des caractéristiques incomparables en Roumanie?

les musiques paysannes sont certes en voie de déclin au début du siècle dernier, mais leur diversité régionale et locale reste grande, de même que la variabilité dans le temps de leur fonction (un chant attaché à une cérémonie précise change de fonction si la cérémonie disparaît). Ces musiques peuvent aussi s’influencer l’une l’autre. On comprend donc que la question sur la doinà soit accompagnée de nombreuses autres questions, et que ce livre ne fournira pas de répertoire, bien clair et par période,
des musiques paysannes.

Durant la première période, la musique savante évolue fortement, d’une part grâce à des institutions créées par l’élite, d’autre part en se hissant au niveau des musiques savantes occidentales tout en développant ses caractéristiques propres. Les musiques populaires, pour combattre leur déclin doivent évoluer, remplaçant par exemple les chants en rythme libre par de nouvelles créations; mais surtout, elle sont de plus en plus produites par des musiciens professionnels tziganes regroupés en tarafs qui en deviennent les dépositaires.

Pendant la période communiste. l’évolution des musiques prend un tour forcé et leurs créateurs, savants et populaires, doivent accepter tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, ies ordres du parti. Soit ils collaborent, soif ils intériorisent la censure (c’est la majorité), soit-ils résistent (en petit nombre). Des « experts culturels » professionnels contrôlent ce qu’on joue et ce qu’on chante; les rythmes lents sont remplacés par des rythmes de danse. Les gens chantent et jouent beaucoup moins lors des fêtes de village; à l’opposé, les fêtes de mariage prennent une importance considérable. Les Hongrois et les Sicules de Transylvanie connaissent la même évolution. Pendant ce temps, !e pouvoir met au point une alternative politisée, que I’auteure appelle musique folklorique ou folklorisée, avec pour but de remplacer les musiques paysannes.

Autres sujets abordés: les compromissions de la musique savante; le folk et son revival différent du nôtre; le rock; la musique de cinéma; les musiques semi-rurales des nouveaux citadins; les musiques religieuses. Curieusement, des notions de base en musicologie et en ethnomusicologie sont ensuite présentées. C’est que l’ouvrage se veut formateur, et non informatif, et tant à destination de lecteurs roumains que de lecteurs étrangers.

Marc Bauduin

(article paru dans le Canard Folk de novembre 2021)