Ce qui suit n’est pas vraiment le compte-rendu d’une interview, puisque le texte initial a été complété et modifié par Rue du Village de façon à mieux correspondre à ses vues (vous n’en êtes que plus gâtés!). Les propos tenus dans une conversation peuvent en effet manquer singulièrement de précisions.
Marc Bauduin
En neuf ans, une vingtaine de musiciens se sont succédé dans Rue du Village pour arriver finalement à la composition actuelle : Louis Spagna (accordéons chromatique et diatonique), Aline Fonsnv (violon, alto, clarinette ) , qui étaient membres de la formation originale, Bernard Vanderheyden (contrebasse, cornemuse, flûtes, violoncelle) et Ivo Lemahieu (violon, banjo, cornemuse).
Le début de leur histoire est lié au festival de Champs. Champs 73 en ce qui concerne Louis Spagna: il faudra attendre 1a cuvée 74 pour voir Rue du Village (on peut les entendre sur le disque sorti à cette occasion).
Dès le départ, c’est l’option « musique traditionnelle à danser qu’ils ont choisie. Ils jouaient des airs flamands (le répertoire de De Vlier) écossais, irlandais, parfois français, mais rarement wallon. En effet, si le répertoire était loin d’être pauvre, les danses qui y étaient liées étaient inabordables pour le public qui fréquentait les bals folks et dont la grande majorité était des non-danseurs.
La participation de Louis aux Scafoteûs d’Notes (groupe fondé fin 75)à partir du printemps 77 et l’entrée de Bernard Vandeheyden, fondateur de ce groupe, dans Rue du Village quelques mois plus tard, marquera le début d’une collaboration dont les deux groupe profiteront largement, notamment en affirmant, au fil des ans, certains choix essentiels (P. ex. répertoire et recherche de style wallons).
En fait, les options des Scafoteûs d’Notes étaient fort proches de celles de Rue du Village, excepté que ce groupe entendait limiter ses animations au Brabant wallon et marquer d’emblée sa volonté de restreindre progressivement le répertoire aux danses belges; son but essentiel étant de communiquer au public le goût de la danse traditionnelle.
Les ateliers de danse et de musique traditionnelles qui se déroulent actuellement à Louvain-la-Neuve sont en fait la suite du travail commencé par les Scafoteûs (dissous en 1980).
Le répertoire wallon de Rue du Village s’est donc progressivement élargi. Mais cet ajout n’a été possible que parce que la mentalité des danseurs avait entretemps évolué; vers 75, la mode du folk était passée. Les gens ne venaient plus au bal uniquement pour bouger, pour se défouler dans des farandoles ; ils demandaient plus, ils voulaient apprendre des danses difficiles ou plus typées; en 77, le Kolom n’était généralement pas joué pour danser (sauf bien sûr en Flandre, où les danses régionales ont toujours été à l’honneur), alors que maintenant …
D’où le succès des ateliers. Car au bal, on ne peut pas passer beaucoup de temps à expliquer des danses, même si c’est le premier contact du public avec cette musique, sinon la soirée se traine. Or, animer une soirée veut dire mettre une certaine ambiance. II est souvent difficile de concilier les deux (même lorsqu’on s’efforce de faire de l’apprentissage un jeu).
En fait, c’est surtout au début de l’existence du groupe que le public arrivait sans connaître aucune danse traditionnelle. Cela arrive encore actuellement (témoin le bal du 2 mars à Woluwe, où, dans une salle qui ne désemplissait pas, les étudiants en médecine découvraient un réel plaisir à danser ces vieilles danses). Mais il est vrai que le groupe a maintenant une longue pratique de la présentation des danses, ce qui facilite les choses. Ainsi, les scottisches sont proposées avec un degré de difficulté croissant au cours de la soirée. « Et aux ateliers de Louvain-la- Neuve auxquels le groupe s’est associé, qu’apprend-on? Pas uniquement des danses wallonnes, puisqu’il y a aussi Black Jack entre autres ? » demande le petit reporter.
Réponse : on y apprend aussi des danses de la Renaissance qui étaient répandues dans toute l’Europe et des contredanses anglaises (p. ex. celles du recueil de Playford) qui forment la base de la contredanse française (futur quadrille) et donc des matelotes, allemandes, amoureuses et passepieds wallons.
Mais Black Jack, malgré son nom, est une danse wallonne, nous dit Bernard. Elle se trouve dans le manuscrit d’un ménétrier liégeois de la fin du XVIIIème siècle ; elle était couramment dansée dans nos régions. IL est évidemment probable que ces anglaises soient d’origine…. anglaise, mais tout voyage….
Un problème: il est rare que les sources décrivent les danses spécifiquement wallonnes. Par contre, les polkas, scottisches, etc., sont des danses européennes et, à défaut, le cas échéant, de retrouver la manière typique wallonne, on peut retourner au modèle original ou aux traités de danse de salon.
Dans le cas des danses wallonnes typiques, il faut donc réinventer. L’opération est souvent assez facile, car elles découlent des contredanses anglaises ou françaises, mais puisque la chorégraphie n’est pas authentique, le résultat doit être non seulement vraisemblable, mais également simple. Exemple : la chorégraphie de la « Monaco » découle des paroles de la chanson enfantine.
Pourquoi chercher à compliquer les figures ? Le but autrefois n’était-il pas de s’amuser, de s’exprimer ? Et si la complexité nuit au plaisir et à l’expression des danseurs de bal d’aujourd’hui, que restera-t-il de la danse populaire ?
Cette réinvention ne peut être au départ qu’une proposition de danse, un essai susceptible d’être modifié. Ce n’est que plus tard qu’on pourra compliquer les choses, en suivant en quelque sorte le processus d’évolution réellement subie par la danse au fil du temps.
Ainsi un vieux, qui avait jadis dansé les maclotes, disait qu’à une époque les gens n’exécutaient qu’une seule et même figure de maclote pendant un quart d’heure.
Quel contraste avec la manière dont on danse aujourd’hui la maclote d’Habiémont, par exemple ! Tous les hommes tapent des mains en courant après les femmes et soulèvent 1es jupes, alors que jadis c’était peut-être une facétie d’un danseur isolé ; de même qu’un bon danseur ajoute des fioritures aux figures de base.
Mais on a tout nivelé : tout le monde danse aujourd’hui ces fioritures. Il était pourtant courant que bons et moins bons danseurs dansent ensemble ! 0r maintenant, ajoute Louis, les danseurs des groupes de démonstration dansent généralement entre eux, sans se mêler aux autres – alors que ce serait utile pour communiquer aux autres le plaisir d’une danse en peu de temps.
Les seuls à avoir compris cette diversité, dit Bernard, sont : Lu Gaw pour les groupes de danse (ils ont des costumes et ne font pas tous les mêmes choses), et Fanny Thibout pour la manière dont elle a mené son travail de collectage reproduit dans la Lyre malmédienne (et elle cite toutes ses sources !).
Puisqu’on en arrive au collectage, parlons-en. Rue du Village en a fait, de même que les Scafoteûs, comme il est possible d’en faire en Brabant wallon. Les personnes les plus vielles se font rares, et avec elles les souvenirs de la fin du siècle passé. Actuellement, les souvenirs remontent en général à la période postérieure à 14-18.
Cela pose un problème, car les danses wallonnes ont été vite remplacées (plus vite que les flamandes) par le bal champêtre. Il faut voir dans ce phénomène l’influence des grandes villes dans le type de vie : on s’est tourné vers le beau monde, vers les danses de salon ((quadrilles, polkas, etc.) Le matériel recueilli par Rue du Village et les Scafoteûs d’Notes rassemble en tout cas le répertoire brabançon wallon sauvé de l’oubli.
Pour ce qui est de la Wallonie, il n’y a plus rien de sûr quant au style ou à la danse. Mais il y a quand même des vraisemblances. Quelques témoignages musicaux existent, qu’il faut écouter avec attention. Ainsi on possède par exemple des enregistrement des violoneux Schmitz et Charneux (à noter qu’ils jouaient tous les deux en doubles cordes). Mais on oublie généralement que Schmitz n’avait pas joué pour le bal; et concernant Charneux, on avait retenu de lui qu’il jouait faux (donc c’était folklorique de jouer faux !!) , mais personne n’avait remarqué son coup d’archet!
Depuis huit ans, le style wallon n’a pas évolué. C’est dommage. II mérite mieux. Jadis, la réputation des violoneux wallons s’étendait jusqu’en Scandinavie, au point que maintenant on se bat pour aller rechercher des violoneux de souche wallonne en Suède. Le folklore n’est pas une question de répertoire, mais de style instrumental !
Une idée serait de faire rejouer de vieux airs par un orchestre de bal champêtre (cornet à pistons, bugle, trombone, tuba). Cette idée, les Scafoteûs et Rue du Village l’ont en partie réalisée, non sans difficulté.
La difficulté en l’occurrence est double : les bons musiciens se font vieux et rares et sont de ce fait fort sollicités par les fanfares. Ils sont donc peu disponibles, d’autant moins qu’ils ont évidemment leur vie à eux (l’épouse ne voit pas toujours d’un bon œil son mari partir le soir: « Tu es sûr que ça n’est pas pour aller au café ? ») D’autre part, ces musiciens sont convaincus que ce temps-là est passé pour de bon, que les gens ne danseront plus sur de vieux airs wallons : ils préfèrent jouer des airs américains, du « jazz » … et même s’ils voient un jour un public danser sur des airs wallons, ils restent sceptiques et ancrés dans leurs convictions …récentes.
Une formation de ce genre a néanmoins joué de tels airs et a été enregistrée par deux fois, à l’initiative des deux groupes. (Deux pièces figurent sur un disque de la série « Anthologie du Folklore wallon »). Et si un jour Rue du Village sort un disque, des extraits du second enregistrement y figureront.
(article paru dans le Canard Folk d’avril 1983.)