Un article de Gérard De Smaele
En Belgique, avec Rihannon Giddens (AB, Bruxelles, en février), et Don Flemons (Rispiqué, Lierre, en juin) – des musiciens qui ont fait partie des Carolina Chocolate Drops, et aussi avec Nora Brown (HA Concerts, Gand, en avril) -une jeune artiste épaulée par l’ethno-organologiste Schlomo Pestcoe, Alice Gerrard et John Cohen-, l’année 2024 fait la part belle aux banjoïstes américains[1].
Elle se poursuivra en octobre avec la réapparition sur nos terres de Clarke Buehling, déjà venu en Belgique en 2004 soutenir l’exposition ‘Banjo au MiM’[2]. Souvenons-nous de ses deux prestations au Festival des Midis-Minimes (Bruxelles et à Louvain) et au Brosella Folk Festival. C’est dans le cadre de cette exposition que ces concerts avaient pu bénéficier d’un support financier exceptionnel accordé par le Service culturel de l’Ambassade des Etats-Unis à Bruxelles.
Cette fois, c’est au soutien de Jean-Paul Dessy -chef de l’orchestre Musiques Nouvelles, compositeur et violoncelliste[3]-, que nous devons l’amorce de la prochaine tournée de Clarke Buehling, tant au Nord qu’au Sud de notre pays : notamment au MiM, et au Mars-Arts de la scène à Mons. L’idée initiale de ce projet était de marquer au Musée des Instruments de Musique l’arrivée d’un important fonds documentaire relatif au banjo à cinq cordes, et d’éventuellement sensibiliser les étudiants des classes de guitare des conservatoires.
De fait, suite à un heureux concours de circonstances, le musée a pu s’enrichir -en plus de mes propres apports-, d’une importante collection provenant de la succession de Pete Stanley, célèbre banjoïste anglais né à Londres en 1937, décédé en 2020. Pour le banjo, l’Angleterre fut, dès le milieu du 19e siècle -depuis la venue de Joel Sweeney en 1843-, la seconde patrie du banjo à cinq cordes. Au-delà de ses activités de recherche et de collectionneur, Pete Stanley a joué un rôle de pionnier en ce qui concerne la diffusion du bluegrass dans son pays[4]. Bien que ce soit un objectif à long terme, j’ose espérer que le MiM pourra in fine offrir une base substantielle à tout chercheur ou musicien désireux de se lancer dans l’aventure.
www.desmaele5str.be/download/Collection-Stanley.pdf
www.desmaele5str.be/download/Pete-Stanley.pdf
www.desmaele5str.be/dossiersArchives
A TASTE OF BANJO
Après le prodigieux Foggy Mountain Breakdown de Earl Scruggs (1924-2012) dans Bonnie and Clyde (1969), les premières notes de la musique du film Deliverance (1972), enregistrées par Eric Weissberg (1939-2020), ont propulsé le banjo à cinq cordes sur la scène planétaire. Que ces airs endiablés ne nous fassent pas oublier les origines modestes d’un instrument venu d’Afrique, ainsi que ses divers courants tels que le ‘minstrel banjo’ et le banjo dit ‘classique’ du 19e siècle. Emblématique des Etats-Unis et de son histoire, les signaux qu’il émet sont l’expression privilégiée d’une culture aux multiples facettes. Pratiqué par les plus humbles, le banjo révèle une saisissante richesse, passant de pratiques musicales informelles aux feux de la rampes; de traditions séculaires à la lutte sociale.
C’est dans cet état d’esprit que nous rencontrerons l’élégant Clarke Buehling, actif depuis plus de quarante années sur la scène du renouveau du banjo ancien, pour en devenir un de ses plus prestigieux représentants.
CLARKE BUEHLING
Aux Etats-Unis, on peut affirmer que Clarke Buehling est un trésor national. Elève de Frank Bradbury (1896-1981), ayant lui-même côtoyé les plus grands, tels qu’Alfred Farland (1864-1954), Fred Bacon (1871-1948), Sylvester Ossman (1866-1923) ou encore Fred Van Eps (1878-1960), notre invité établit un pont entre notre époque et celle de la fin du 19e et du début du 20e siècle.
La pratique du banjo dit ‘classique’[5] -en référence avec la technique de jeu de la guitare classique- trouve ses racines dans des traditions musicales plus anciennes, liées au ‘minstrel show’, dont le banjo s’inspire à son tour de l’instrument primitif des Afro-Américains du Sud des USA. Ces derniers ont transmis aux Euro-Américains l’héritage de leurs ancêtres Africain. S’ensuivra une fusion de cultures qui bouleversera le cours de l’histoire de la musique occidentale.
Sous ses multiples facettes, le banjo accompagne inexorablement toute l’histoire des Etats-Unis. Ici, le meilleur côtoie le pire. C’est ce que nous révèle, de la manière la plus nuancée, la musique de Clarke Buehling, sans oublier qu’il demeure aussi un maître incontesté dans le domaine du banjo gourde, le banjo primitif aux racines africaines les plus archaïques.
Cette fois, Clarke Buehling voyagera seul, mais son actuel groupe d’attache ‘The Ozark Highballers’ – invités au Festival de la Smithsonian à Washingon de 2023-, sont de merveilleux interprètes du répertoire de Charlie Poole (1892-1931), un autre monument de la Old Time Music, qui fut influencé par le jeu de Fred Van Eps. Charlie Poole, ainsi que Uncle Dave Macon (1870-1952) ont jeté un pont entre le banjo dit ‘classique’ et la musique old time.
Ayant connu un grand succès discographique, ces deux artistes iconiques ont marqué de leur empreinte les débuts du 3-finger bluegrass style, répandu par la suite à travers le monde par Earl Scruggs, ramenant sur le devant de la scène -avec Pete Seeger (1919-2014) et le folk revival- un instrument tombé en désuétude au sortir de la seconde guerre mondiale.
Un de ces instruments sera présenté et joué par Clarke Buehling au MiM et à Mons, les 3 et 4 octobre 2024.
www.metmuseum.org/art/collection/search/628865
L’instrument original, don du collectionneur Pete Szego, a été exposé au MET en 2014 lors de l’exposition Early American Guitars: The Instruments of C. F. Martin. Voir : Phil Gura, James Bollman. America’s Instrument. The Banjo in the Nineteenth Century. Chapel Hill / London: The University of North Carolina Press, 1999, 303 p.
La production de William Boucher fut par ailleurs mise en valeur et analysée au Baltimore Museum of Industry, lors de l’exposition “Making Music: The Banjo in Baltimore and Beyond”, en 2024.
Pièces de musées, les banjos de Boucher (Hanovre 1822 – Baltimore 1899) et plus tard de James Ashborn représentent ce qu’étaient les tout premiers banjos manufacturés aux USA, destinés à la scène du minstrel show.
A l’époque -des années 1830-1850-, le banjo à cinq cordes était monté de cordes en boyau. Les barrettes et les cordes métalliques ne viendront que plus tard. L’instrument s’accordait alors deux tons et demi plus bas que le banjo actuel[6]. Cet accordage s’élèvera progressivement d’un ton et ensuite d’encore un ton et demi, tout en respectant les mêmes intervalles musicaux entre les cordes : une évolution qui eut naturellement une incidence sur la notation de la musique pour le banjo (A notation et C notation ou modern pitch).
ENREGISTREMENTS DE CLARKE BUEHLING :
- Banjo Gems. Kicking Mule KM-211, 1980.
- Buehling Banjos. 1987 (K7).
- Minstrel banjo Style. Rounder Records CD321, 1992.
- Out of His Gourd: Gourd Banjo Instrumentals and Songs. 2007 (CD) – 1992 (K7).
- A Ragtime Episode. 2004 (CD).
- Old Time Fiddle Rags, Classic and Minstrel Banjo. CD Baby (2008).
Gérard De Smaele – 28.06.2024. www.desmaele5str.be
www.belspo.be/belspo/organisation/publ/pub_ostc/sciencecon/65sci_fr.pdf , pp. 38-45
Concerts de Clarke Buehling & Gérard De Smaele : voir www.canardfolk.be/agenda/
02/10/24 : Banjo Festival Perwez
03/10/24 ; au MIM (Bruxelles)
04/10/24 : à Mons
[1] Sans faire l’impasse sur le passé et les concerts organisés en Belgique par Léon Lamal (Le Malemolen) et Henri Vandenberghe (Brosella Folk Festival). Sans oublier le célèbre banjoïste Derroll Adams (Portland/0regon,1925 – Anvers/Belgique, 2000), qui vécut près de la moitié de son existence à Bruxelles et à Anvers
[2] Auxquels on viendra ajouter Mike Seeger, venu en 2002 pour la préouverture de l’exposition, ainsi que de Bob Carlin, Tom Paley et Daniel Jatta, en 2003.
[3] www.jeanpauldessy.com/a-propos/curriculum-vitae/
[4] Concernant l’importation de la old time music en Angleterre, et pour nous limiter à quelques exemples, signalons les collectages dans les Appalaches du musicologue Cecil Sharp (1854-1929), ainsi que l’impact laissé dans les années 1950-1960 par les séjours en Angleterre d’Alan Lomax, Peggy Seeger, Ralph Rinzler, Derroll Adams etc. Signalons au passage que le fonds Stanley comporte le programme d’un concert des NLCR à l’Albert Hall de Londres en 1966. Pour cette tournée européenne, ils étaient accompagnés des Stanley Brothers, de Roscoe Holcomb et de Cousin Emmy. [document en attente d’ inventorisation]
[5] ‘Classic banjo’ est un terme trompeur, apparu tardivement, après le déclin de ce style de jeu dérivé de la technique de la guitare classique. A l’époque de sa plus grande popularité -1870-1920- on parlait du ‘finger style’, opposé au ‘stroke style’, plus ancien. Même si certains virtuoses comme Farland, Ossman ou Oakley en Angleterre, ont effectivement interprété des œuvres tirées du répertoire classique, le style dit ‘classique’ ne doit pas être confondu avec le ‘classical style’. Après 1870, devenu un instrument de salon, désireux de s’élever socialement, le banjo à cinq cordes se prêtait depuis les années d’après la guerre de Sécession (1861-1865) à l’interprétation d’une musique ‘classique légère’. Joué par des amateurs ou par de véritables professionnels, le banjo à cinq cordes se constitua un très large répertoire. Il deviendra par la suite l’instrument des ‘kings of the ragtime’, dont nous conservons de nombreux enregistrements originaux. Il faut dire que la dynamique acoustique du banjo se prêtait particulièrement bien aux premiers procédés d’enregistrement. Rappelons-nous qu’ils étaient entièrement de nature acoustique et que les premiers microphones électriques n’apparaitront que dans les années 1920.
archive.org/details/classic-banjo-fr/page/1/mode/1up
[6] Voir : Thomas F. Briggs. Brigg’s Banjo Instructor… Boston, MA. (New York, Philadelphia, Cincinnati, New Orleans): Oliver Ditson, 1855, 53 p.; facsimile, Bremo Bluff, VA: Tuckahoe Music, 1992. [dGDF#A]
James Buckley. Buckley’s New Banjo Book. Boston: Oliver Ditson Company, 1860, 80 p.; facsimile, Bremo Bluff, VA: Tuckahoe Music, 1966. [eAEG#B]
A ce sujet, voir aussi toutes les rééditions et les enregistrements de Jo Ayers (Tuckahoe Music, 1990-1996) ; Minstrel Banjo Stroke Style de Bob Flesher (Dr Horsehair Music, 1994); Transcriptions from Buckley’s Banjo Guide of 1868 (Mel Bay Publications, 2018) et Instruction for Early Minstrel Banjo and Stroke Style of Playing de Timothy Twiss – timtwiss.com/early-banjo-resources – ; Early American Classics for Banjo, de l’anglais Robert MacKillop (Mel Bay Publications, 2011).