Le contexte
J’ai acheté mon accordéon chez Castagnari en 1983. Un Sol/Do 8 basses modèle Marc (comme Marc Perrone) avec quelques particularités. Tout d’abord, ce modèle est le seul à avoir un résonateur, ou double chambre de résonance : en gros, c’est un bloc de bois creux dans lequel l’air peut circuler (on l’actionne comme un simple registre), ce qui modifie légèrement le timbre. Castagnari ne fabrique plus ce modèle.
Puis, je ne voulais pas de notes avec dièze ou bémol tout en haut du clavier. A leur place, il y a des notes graves. Quand on actionne le registre grave, ça fait un effet terrible.
Mon accordéon tout neuf est arrivé d’Italie en voiture. Quelqu’un s’était proposé pour aller chez Castagnari (à Recanati, près d’Ancona) et transporter plusieurs accordéons en Belgique. Après mon vieux Soprani que j’avais trouvé dans une brocante, et que j’avais fait réaccorder par un Callewaert (petit-fils du premier fabricant Callewaert) qui travaillait chez Hohner à Bruxelles, le changement était radical. On se sent pousser des ailes …
En quarante ans, je n’ai pas eu de problèmes avec cet accordéon. Juste quelques petites choses : réaccorder une note de temps à autre, remettre un écrou à la tirette d’un registre … Je ne remarquais guère les petites fuites qui apparaissaient, ni le fait que l’ensemble se désaccordait lentement. Récemment, je me suis rendu compte que, par manque d’air, je n’arrivais plus à jouer certains morceaux : le soufflet devenait complètement ouvert ou fermé, plus moyen d’en tirer un son sans d’abord utiliser la soupape. Il était temps d’aller voir un réparateur-accordeur.
J’en connais cinq en Belgique, dont deux ont une très bonne expérience en diatoniques. Peu importe leur nom. Ils sont tous les deux loin de mon domicile. Je prends rendez-vous chez l’un d’eux, en expliquant le problème. Sur place, il commence par ouvrir la bête – un résonateur dans un diato, ça ne court pas les rues, alors que c’est courant dans les chromatiques. La difficulté, c’est que les petites fuites peuvent provenir d’un peu partout. On convient de procéder à un test de réparation. Pas à la main droite, car ce serait trop de boulot pour un test, mais bien à la main gauche.
Quelques jours plus tard, on refait le point. La réparation de test (resserrage de la mécanique, étanchéité des soupapes) a été efficace – j’arrive maintenant à jouer les morceaux qui étaient problématiques – mais on est encore loin du compte, il y a encore pas mal de petites fuites. Hélas, le réparateur est très réticent pour s’attaquer à la main droite : on ne sait pas quels problèmes on va rencontrer en l’ouvrant et en le remontant ; et le résonateur exige un réglage très fin de deux soupapes fixées entre elles. Bref, le réparateur, même s’il se dit capable de réaliser ce boulot, estime que c’est trop risqué : le budget sera très important et impossible à prévoir. Enfin, je suis quand même très content de l’honnêteté du gars, qui m’évite d’éventuelles surprises désagréables, et en qui je garde toute ma confiance.
Pour régler le problème, je n’ai pas envie d’encore me déplacer chez d’autres réparateurs belges ou même français. Le plus sûr finalement, c’est de m’adresser directement au fabricant, même si le transport risque d’être coûteux.
Je prends mon téléphone, et hop ! la première sonnerie a à peine retenti qu’une voix pressée décroche : « Pronto ! ». Et moi : « Heu, bonjour, vous parlez français ? » Ben oui, il parle français; ils sont d’accord de réparer mon accordéon ; et les transporteurs les plus fiables là-bas sont UPS et DHL.
L’expédition
L’étape suivante sera la moins simple, pour un particulier comme moi qui n’ai jamais expédié de gros colis vers l’étranger. Comment emballer l’accordéon pour éviter les chocs ? Je décide d’envoyer une demande de devis aux transporteurs en leur demandant de s’occuper de l’emballage. Là, c’est la galère: personne ne répond à mes mails, quand je téléphone on m’envoie d’un service à l’autre, et le site web est mal foutu. Un jour, je marchais dans la rue lorsqu’une camionnette DHL s’arrête pile devant moi pour prendre livraison d’un colis. Je harponne le conducteur qui, très sympa, me déconseille de téléphoner : « Allez directement au centre DHL de Forest, ils vous renseigneront tout de suite».
Chose dite, chose faite. A Forest, pas de file d’attente, l’employée me dit combien le transport va coûter (mais je dois emballer moi-même), et quel numéro de téléphone je dois former pour obtenir un compte client et organiser le retour en Belgique. Las, à ce numéro je trouve un service client qui s’énerve devant le fatras d’âneries de l’employée de Forest (les comptes clients sont en réalité réservés aux professionnels, …), me dit d’aller directement à Forest avec le colis, et m‘indique une adresse web pour organiser le retour. Laquelle adresse web se révèle incorrecte, donc re-téléphone.
En parallèle, je cherche une caisse assez solide (qu’on peut fermer, ouvrir et refermer) pour contenir ma boîte d’accordéon, ainsi que du matériau de remplissage (couverture de déménageur, frigolite) pour éviter les chocs. Le tout pèse 8 kg. L’expédition me sera facturée 240 euros par DHL à Forest, y compris une prime d’assurance (1% de la valeur déclarée). Le colis arrivera le lendemain à destination.
La réparation
Avant d’expédier le colis, j’avais envoyé un mail à Castagnari pour détailler le problème de fuites et pour demander qu’ils donnent leur avis sur mon soufflet qui se tortille quand je le ferme avec force. Mon mail contient ma signature standard, avec « Le Canard Folk » entre autres.
C’est Sandro Castagnari qui me répond : ok, vous pouvez envoyer l’accordéon mais sachez qu’il faudra attendre environ 10 jours avant que nous puissions commencer à y travailler. Une bonne dizaine de jours plus tard, je reçois un mail disant que le travail est terminé, sans aucun détail. Pas grave : je demande les détails par e-mail, et je téléphone aussi. J’apprends qu’ils ont traité tout le clavier, rafistolé tous les ressorts et quelques clapets, réglant ainsi le problème des fuites.
Quant au soufflet, ils étaient d’avis qu’il est encore bon, mais ils ont quand même été chez un fabricant de soufflets pour le vérifier. Verdict : pour un soufflet de 40 ans, il est parfait… Bon, c’est clair, je ne change pas le soufflet.
Le retour et le test
Castagnari organise le retour via « Mail Boxes etc” qui fait ensuite appel à DHL ou à UPS, et qui est moins cher (100 euros). Je règle la facture (transport + 230 euros de réparation), et l’accordéon est rapidement de retour. J’ouvre la caisse … et je vois l’accordéon bien protégé. Un rapide test de l’accordéon m’enchante : il n’y a plus de fuites, l’instrument semble plus dur, sonne plus fort et … tiens, c’est curieux, l’auraient-ils réaccordé ? Ils répondent, et on devine un petit sourire, que je ne rêve pas : oui, ils ont complètement réaccordé l’instrument ! Pour une surprise, c’est une bonne surprise.
Je suis donc hypercontent : excellent travail, excellente communication, prix raisonnable. Evidemment, vu les frais de transport, ce genre d’opération doit être rare. Les réparateurs-accordeurs en Belgique sont là pour traiter la quasi-totalité des cas. Le fabricant a l’avantage de bien connaître ses instruments, ce qui lui fait gagner du temps et lui permet d’être parfois plus précis dans ses budgets.
Marc Bauduin
(article paru dans le Canard Folk de décembre 2022)